Partage

Pour le plaisir de tous, partage ton expérience, ta connaissance ou des liens utiles sur Wikidelta !

1980 - Premier looping au Salève


une figure réalisée par Henning Deluz (1980)

 

Dès l’hiver 1972-73, le Salève est un nouveau territoire pour le sport aérien. Les ailes-delta, deltaplanes, inaugurent une longue présence silencieuse et colorée dans le ciel franco-genevois. La jeunesse locale s’enthousiasme pour ce vol viril bon marché. En redécouvrant l’aéronautique à sa base, elle fait faire de nombreux et rapides progrès à ce sport. On arrive assez vite au 1er looping local en aile souple, qui est à l’actif de Henning Deluz, de Veyrier (GE). Après avoir bien étudié le sujet, la figure est aujourd’hui entrée dans les mœurs.

Un magnifique looping de Henning Deluz dans les années 1980. Quelques câbles de renfort ont été ajoutés sur l’appareil (ph. H.Deluz).

Les deux précurseurs du looping en deltaplane.

La légende veut qu’un chagrin d’amour soit à l’origine du 1er looping avec une aile souple. Henri Bayard, 25 ans à l’époque, a préféré les tonneaux aériens aux noyades alcoolisées. Par une chaude journée de l’été 1975, à Klosters (Suisse), Henri Bayard sans préméditation ni avertissement, tente soudain la grande figure, le looping. Accroupi dans son trapèze d’Hirondelle, les pieds sur la barre, il amorce un piqué suivi d’une ressource violente et se retrouve "sur le toit" le corps dans la voile dans une position incontrôlée pendant 2 à 3 secondes avant de reprendre son vol normalement, comme si de rien n’était. Ensuite, toujours avec la même méthode, les "loopings à Henri" se sont multipliés faisant même l’objet d’émissions télévisées. La nature aidant, c’est dans une forêt que se sont définitivement brisées et son aile et son envie de faire des loopings ; l’arrivée d’une dulcinée n’est pas étrangère à cette fin...


Henning Deluz en 1980 (ph. : Vol libre mag.).

C’est ensuite le tour de Rudy Kishazy, à l’âge et au langage aussi indéfinissable que sa nationalité. Certains lui prêtent même une antériorité aux loopings d’Henri Bayard, ce qui est possible mais controversé. Ce merveilleux pilote à l’œil pétillant de malice a le double mérite d’avoir consacré le looping et, suprême difficulté, de faire de ses réussites voltigeuses des affaires commerciales rentables. Indéniablement, pour en avoir fait une figure précise, calculée, souvent répétée, Rudy peut être considéré comme le père du looping. Sa technique ressemblait, le présent n’est plus de mise car il tourne actuellement les loopings que dans ses films (à voir d’ailleurs), à celle de Bayard mais en réussissant à maintenir la voile de son aile en positif pendant la trajectoire. L’aile, une "Moyes", était parfaitement étudiée pour ce genre d’exercice et convenait à merveille. Honneur à ces audacieux précurseurs qui, ne l’oublions pas, ne bénéficiaient pas de l’effet stimulateur du parachute.

L’acrobate des temps modernes, à Veyrier : un prof de 25 ans.

Il a 25 ans, 55kg, le visage poupin et angélique, barré d’un éternel sourire. Henning Deluz, c’est l’anti-vedette, le culte de la camaraderie, le sérieux infatigable dans la préparation. Voilà plus de 2 ans qu’Henning prépare scientifiquement son looping, revues, photos, schémas à l’appui. Plus que la figure elle-même, c’est un numéro complet d’acrobatie qu’il souhaite présenter, dans lequel le looping serait intégré. Pour se faire, il ne conçoit pas de voler debout dans le trapèze mais bien couché, en position normale de vol. N’a-t-il pas d’autres figures dans son sac, telle que voler à l’envers, les pieds devant, avec à la clef des abatées, des ressources et même des wingovers ? Du grand spectacle en perspective.


Renforts apportés sur le "Gryphon" (ph. : Vol libre mag.).

Le 11 août 1980, c’était chose faite, Henning boucle son premier looping, en position de vol normal, sur un Gryphon. En mars 1981, il en compte plus de 50 et en enchaîne facilement 5 de suite ; le looping est entré dans les mœurs et constitue un spectacle presque quotidien à Genève.

La technique : L’esprit scientifique qui anime Deluz, le sérieux de la préparation ainsi que la perfection de l’exécution mérite que l’on s’y attarde. Henning a testé une dizaine d’ailes avant de s’arrêter sur un Gryphon Rithner dont les qualités sont relevées ci-dessous. Il ne s’embarrasse d’aucun accessoire s’offrant pour seule exception à son éthique du vol acrobatique, de s’accrocher parfois seulement, 10 cm plus haut que la normale. Ses mains ne tiennent pas la barre du trapèze mais les montants verticaux afin d’avoir une plus grande latitude de mouvement. Il entame son tout d’horloge par une légère prise de vitesse suivie d’une ressource jusqu’au décrochage qu’il sollicite bras toujours tendus en avant. Au moment de l’abatée, il tire au maximum mettant l’aile en position verticale en piqué. L’accélération en piqué dure 3 à 5 secondes et, est accompagnée d’un bruit progressif qui devient constant au moment de la vitesse max.

A ce moment là, à 4h, il relâche progressivement le trapèze jusqu’à 7h où c’est le début de la poussée constante et progressive jusqu’à 12h où il se retrouve, toujours bras tendus, sur le dos, la voile gonflée en positif, le corps centrifugé et le regard axé sur le nez de l’appareil. Il reste les bras tendus jusqu’à 3h et là enchaîne son second looping par un piqué. Le tout est une forte belle image presque ronde, bien glissée et propre.

Beaucoup d’entraînement pour arriver à une figure bien maîtrisée et spectaculaire.

Henning est arrivé au looping en faisant des wingovers de plus en plus serrés. Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage... Lorsqu’il ne sert pas son looping, il renonce à mettre son aile en position parfaitement horizontale afin de pouvoir sortir de la trajectoire verticale prévue et éviter ainsi le tumbling. Au 23e essai, par contre, et pour avoir lesté son aile, Henning a eu tout le loisir de se remémorer la technique Bayard, se retrouvant à 11h bras tendus et en perte de vitesse : inversion brutale des lobes dans un bruit assourdissant, stabilisation de l’aile sur le dos à l’horizontale et chute du pilote sur l’arrière de la quille provoquant un retournement de l’aile. Le tumbling fut ensuite engagé aux ¾ et c’est en position verticale de piqué qu’Henning a réussi à reprendre le contrôle de son aile.

Deux explications à cette mésaventure, d’une part Deluz n’avait pas prévu un rayon de looping plus grand qu’habituellement, du fait du lestage de 5kg et d’autre part, le lestage doit se faire sur la bête et non sur l’aile. Un tel lestage permet un rapport poids, aile/pilote, de 1 à 3 au lieu de 1 à 2,3, ce qui fut le cas. Henning insiste sur le fait que dans tous les cas, le pilote entre 10h et 3h doit rester bras tendus en avant, ce qui ne constitue pas une position naturelle en cas de difficultés, le réflexe fœtal dictant plutôt un replis sur soi.

L’aile : Rendons à César ce qui appartient à César... Deluz a choisi la Gryphon pour sa nervosité, sa fidélité dans la trajectoire et ses excellentes performances de vitesses ; il a choisi un Rithner pour la qualité de sa finition, sa robustesse et ses renforcements acro. Dans ce fief farouchement anti-Rithner qu’est le Delta Club Genève, le constructeur-copieur le plus controversé de Suisse a indéniablement marqué des points. Il faut avouer aussi que la vision de plusieurs Wasp brisés en l’air ne plaidait pas en faveur de cette aile pour l’acro.

Henning Deluz : un cascadeur, un malade, un fou ? Ou simplement un pilote conscient qui pense que l’acro se popularisera et qu’il faut la promouvoir ? Chacun répondra selon sa conception du Vol Libre. Incontestablement Deluz a apporté une nouvelle dimension au vol libre, comme l’avait déjà fait son grand-père David Deluz, mort dans son lit en 1977 à l’âge de 88 ans. Il a été le 1er homme volant à effectuer un vol plané de plus de 100m en Suisse en 1909.

Signé : Didier Favre

Article publié dans : Vol libre magazine, n.57, d’avril 1981, p.19, 3 ills, par Didier Favre.
Tiré du site : http://www.pionnair-ge.com/spip1/spip.php?article134