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1972-84 - Marcel Lachat et ailes souples


Premier vol en deltaplane à Genève par Marcel Lachat
et évolution locales des ailes souples (1972-84)

Grand sportif terrestre, à 25 ans Marcel Lachat lit un article qui l’amène à l’emploi d’une aile Rogallo. Seul, il apprend le vol de pente et sa maîtrise avec une aile delta. Il est le 1er à sauter du sommet du Salève en deltaplane, fait des émules, fonde une école de pilotage, participe aux compétitions pendant des années. Entre temps il apprend à motoriser l’aile Delta, participe à la naissance des futurs ULM dont il est un ardent défenseur. En suivant cette carrière on revit l’histoire des ailes souples de notre région transfrontalière.

Le concept de Rogallo, d’abord stratégique ou militaire, se développera dans le privé

L’aile delta est issue de l’idée d’un cerf-volant souple, bilobé, pouvant aussi servir de parachute, conçu et breveté vers 1948 par l’Américain Francis M.Rogallo (né en 1912). Travaillant plus tard pour la NASA, ce dernier pense utiliser son principe pour l’atterrissage des capsules spatiales. L’armée s’y intéresse aussi pour parachuter des véhicules. Ce cerf-volant est maintenant devenu une aile triangulaire d’un angle de 90 degrés à sa pointe avant, tenue par 3 axes s’écartant en delta, laissant la toile souple former 2 demi-cônes s’évasant vers l’arrière.


Marcel Lachat en 1980

Vers 1964 des chercheurs privés reprennent l’idée de Rogallo la testant sous forme de cerf-volant tracté emportant un homme, certains décollant d’un plan d’eau, d’autres tentent de l’adapter à l’évolution des planeurs de pente aux ailes essentiellement rigides depuis bientôt 80 ans. L’usage le plus connu des années 60 consiste en un adepte du ski nautique attaché sous l’aile Rogallo, tracté par un canot, redescendant ensuite en vol plané libre. Entre temps le trapèze rectangulaire ou l’homme se tient à deux mains est remplacé par un organe triangulaire mobile manoeuvrable à bras, orientant l’aile, alors que le pilote s’est attaché par un harnais au centre de gravité de l’appareil. A partir de là, le début des années 70 va voir naître un nouveau sport étonnant !

Départ en double depuis la falaise du Salève face au Léman

 

Du ski nautique captif au vol de pente libre

A Genève, Marcel Lachat (né en 1947) s’adonne à l’architecture, au sport, à l’enseignement et la défense du "Jura libre". Son unique contact avec l’aéronautique date de ses 18 ans, lors d’un saut en parachute où il a noté la grande fraternité humaine de ses adeptes. Il fait son école de recrue en 1972 dans la troupe d’aviation, mais comme piéton : on ne forme pas au pilotage l’aîné de plusieurs enfants qui pourrait devenir un jour un soutien de famille démilitarisé. C’est pourtant là à Tourtemagne qu’il fait une découverte, le dernier jour de ce cours, en lisant un article illustrant les vols planés de l’Australien Bill Bennett (1931-2004) effectués en ski nautique sous une aile souple. Lachat décide aussitôt de pratiquer ce sport !

Il se renseigne et contacte des originaux du domaine comme Etienne Rithner, garagiste à Monthey, qui fait du planeur de pente avec des ailes rigides maintenues à bras, générant des petits bonds/vols après une course pédestre. Roger Staub (1936-1974), en Suisse, se lance skis aux pieds dans le vol de pente. Le Hongrois Rudy Kishazy fait de son côté des démonstrations dans les stations des Alpes françaises avec une aile Rogallo non tractée. En France, un ex champion de saut en ski nautique, Bernard Danis, copie, construit et commercialise des ailes Rogallo pour 1.000F pièce environ. Lachat commande la sienne qui sera la 1ère du genre importée en Suisse. La livraison est faite par Danis, en voiture, sur la place de la gare d’Annemasse en plein jour de marché. L’emballage de 5m de long pèse 30 kg.

Rithner commande aussi la sienne et chacun fait alors des essais de son côté, en Valais ou à Chambésy (GE), là Lachat s’élance depuis les pentes du talus de La Capite. Lors des courts planés, il sait déjà placer son corps à plat parallèlement à l’aile. Lachat n’a, à ce stade, aucune idée de l’importance du Salève proche de là pour la suite des opérations, et aucun intérêt professionnel à part cet intérêt personnel. Il passe de nombreux week-end à faire du vol de pente et apprendre à manipuler, maîtriser son aile souple. En Valais, Rithner signale bientôt avoir plané sur 500m et Lachat, 25 ans, veut essayer aussi, voire, tenter de faire mieux !

En 1984 plusieurs octogénaires passent leur baptême en Delta

De La Capite (GE) au Crêt, sur le Salève : le 1er vol en delta du canton.

 

C’est un ami motorisé qui emmène Marcel Lachat au Salève, au Crêt, où ce dernier déballe son aile. Le chauffeur, le sachant architecte, pense que Lachat est en train de tester une nouvelle tente de camping. Mais il s’agit pourtant bien d’un Delta que Lachat va tester dans la pente herbeuse : "J’ai décollé dans de bonnes conditions un soir d’automne ..octobre ou novembre ... J’ai eu la trouille de ma vie ! J’ai réellement vu en une seconde le film de ma vie défiler ! J’ai cru mourir !". Le Delta plane et en s’avançant s’éloigne de la pente, point de repère que Lachat n’avait jusque là jamais quitté des yeux dans ses essais préliminaires. Sans aucun repère visuel, il a l’impression douloureuse d’avoir dépassé à tort ses "limites" et que cela va très mal se terminer. Puis, sous le poids du passager, l’aile s’abaisse doucement, dans une descente qui n’en finit pas. L’aile remonte à chaque fois qu’elle reprend un peu de vitesse ... et ira jusqu’au bas du Salève, de bonds en bonds, finissant du côté d’Archamp ! Ouf, mais record valaisan battu !

Il faut constater la chance qui suit cet apprentissage en solitaire et qui va durer de nombreux mois, sans casse. Fin 1972, ces vols atterrissent tous en France. Lachat n’a pas encore assez d’aptitudes pour arriver en Suisse. Seul vélideltiste de la région ses planés sont une attraction, un exploit, un spectacle, selon qui l’on est. Les convives du restaurant au sommet du Salève (voir : Lieu) quittent régulièrement leurs tables pour voir Lachat s’élancer, planer et descendre. En bas, Lachat se pose dans n’importe quel champ. Un dimanche, pensant se faire enguirlander par le paysan cultivant le lopin où il vient d’atterrir et qui arrive vers lui, il entend un : "Je m’excuse, je suis en salopette !", L’homme aurait voulu le féliciter habillé "en dimanche", et il lui offre une bouteille de vin !

Pendant l’année 1973, Lachat continue pratiquement seul à s’entraîner depuis le sommet du Salève. On n’en est pas encore à des notions de record de durée ou de distance, ni non plus à des tentatives d’améliorer techniquement l’aile qui restera dans sa configuration originale pendant plusieurs années. Pourtant, des vélideltistes neuchâtelois, également pilotes de planeurs, viennent tester le site du Salève. Ils savent par leur formation se servir des ascendances et montrent ainsi à Lachat comment on peu tenter de rester en l’air le plus longtemps possible. Si ces premiers essais s’effectuent entre les Crêts et La Croisette, les atterrissages se déplacent de plus en plus bas, de plus en plus loin. D’abord au pied du Col de la Croisette, puis Chez-Voirier, à Blécheins, Saint-Blaise, puis en Suisse à Troinex puis Carouge.

 

Structuration d’un sport : école de Delta, fédération suisse, championnats, etc.

Arrivée remarquée à Payerne pour une période de service en 1981.

Le nombre d’adeptes du Delta va subitement croître ici et ailleurs. Rithner devient le 1er champion européen en 1974 alors que le 1er championnat suisse est mis sur pied à Zinal. Le 12 décembre, à Anzère (toujours ce lien Delta/station de ski) quelque 145 pilotes fondent la Fédération Suisse de Vol Delta (FSVD). L’instructeur militaire sur Mirage Tony Wirz en est le 1er président. Des invités d’honneur de poids sont présents : Francis Rogallo, et le prof. Jacques Piccard. Des adeptes avaient très vite demandé à Lachat de les former au Delta, mais c’est à cette époque que son école de vol, qui porte le No.1, est officialisée et distribue ses diplômes. En décembre 1975 la FSVD se rebaptise Féd. Suisse de Vol Libre (FSVL), SHV en allemand. On compte déjà 40 moniteurs et un championnat du monde est prévu en Autriche en 1976 auquel Marcel Lachat participe. Il sera champion suisse en 1977 et fera un décollage médiatisé depuis le sommet du Cervin (4.478m) le 7 septembre, débutant par une longue chute et peu de portance avant d’acquérir la vitesse suffisante à un véritable vol.

Lachat s’est spécialisé dans le vol d’initiation en double ou baptême de l’air en Delta. En 1979, malgré l’avis de ses gardes du corps, le Japonais fondateur et président de Honda saute du Salève emmené par Lachat. L’homme intrépide avait déjà fait du ballon à air chaud à Château d’Oex avec le couple Exchaquet peu avant (voir : Récit). Lachat sera présent au Championnat international de Delta au Japon (1980) où le brouillard interdira les compétitions. Certains de ses élèves dépassent alors le maître : le jeune prof de Veyrier Henning Deluz, le 11 août, exécute le 1er looping en Delta des "Salèvistes" (voir : Récit). Consécration, le 10 juin 1981, le Championnat suisse se tient à Veyrier et les départs des 100 participants s’effectuent depuis le Salève. Etc....

Durant l’été 1984, Lachat emporte plusieurs octogénaires en tandem. On note Mme Edmée Graz, 79 ans, le 14 juin ; Andrée de Nottbeck, 87 ans, la doyenne, le 25 juin ; Pierre Anderegg, 84 ans et Robert Jaccoud, 86 ans, le 15 août. Pour satisfaire les spécialistes, un concours international d’acrobatie est organisé le 30 septembre : la Coupe ilinx. Les championnats suisses se déroulent à nouveau au Salève en 1984. L’épreuve de vol triangulaire Salève- Annecy- Bonneville et retour, quelque 75km, voit 13 pilotes réussir dans un temps moyen des vols de 5h ! La croissance de ce sport, grand attrait de la jeunesse, est donc toujours là et l’attraction du Salève s’intensifie. A la fin de l’année la FSVL regroupe 5.000 adeptes, 45 clubs, 90 moniteurs et 15 experts. On a compté environ 180.000 départs de Delta cette année là. En 2000, on dénombrera 17.000 membres, mais parmi ceux-ci la tendance va nettement au parapente, né en 1978 (voir : Récit). Une autre aile souple détrône la première. Des pilotes de Delta il n’en reste que très peu aujourd’hui. Marcel Lachat, qui a connu à Genève toute cette évolution, de ses fragiles débuts jusqu’à son remplacement, reste emballé et ravi par ce vécu si riche de toutes ses composantes humaines et aériennes.

 


A bord d’un hydro-ULM lors des Fêtes de Genève d’août 1983

Des ailes souples motorisées aux premiers ULM

A peine savait-on se servir du Deltaplane que certains essaient de le motoriser. En été 1978 le Britannique David Cook réalise une 1ère traversée de la Manche en Delta équipé d’un moteur de tondeuse à gazon de 9cv, 60 ans après Blériot. Lachat fait alors des essais avec le Français Roger Mercier qui installe un petit moteur à l’avant de l’aile et un autre à l’arrière, et 2 roues au bas du trapèze. Depuis les années 60, on parle alors de "Flex-Wing", à l’américaine, pour désigner ces appareils à moteur bientôt baptisés de "pendulaires" et qui seront qualifiés d’Ultra Léger Motorisé (ULM). Il y a là un champ de recherche très large en combinant les évolutions des ailes souples et celles des cellules motorisées qui y sont suspendues (voir : Appareil) jusqu’aux appareils manœuvrables sur les 3 axes. Lachat construira plusieurs appareils au fil du temps et sera un défenseur acharné de l’ULM bien qu’interdit en Suisse, mais heureusement disponible près du Salève français. Pour mieux défendre cette cause, il passera même ses brevets de pilote d’avion, de planeur et d’hélico en France voisine.

Parmi quelques hauts faits de l’ULM rebelle à la loi suisse on peut signaler le survol par Lachat du cimetière du Petit-Saconnex, le 30 décembre 1980 où l’on vient d’inhumer le pionnier de l’air Henri Dufaux (voir : Biogr.). L’appareil Fledge-Ling (USA) a décollé de Saint-Georges (voir : Lieu) et survole 2 fois la cérémonie. On a la sagesse de ne pas amender le pilote. Egalement, l’arrivée de Lachat, en tenue militaire, en arme, sur la base aérienne de Payerne, le 1er jour de sa période militaire de 1981. Plus tard, invité par les autorités genevoises, il fait amerrir et décoller dans la Rade (voir : Lieu) un ULM équipé de 2 flotteurs en août 1983. Par contre, avec son compère Per Amann ils joueront au "baron noir" en survolant pendant 30’ cette Rade dans un ULM biplan le 17 août 1992. Il faudra attendre des années, mais la catégorie d’ULM dite "Ecolight" est enfin autorisée en Suisse en juillet 2005, catégorie la plus sophistiquée de ces appareils, quasiment de "vrais" avions. Le reste suivra bien un jour !

Profitons de l’occasion pour honorer les vélideltistes féminines suisses. La Genevoise Corinne Niquille passera à la postérité en étant la 1ère femme à s’être élancée en Delta à Genève, depuis le Salève, vers 1974. Et parmi toutes les réussites de ces femmes, citons la médaille d’or de l’équipe suisse au 3ème championnat féminin de Delta à Nanyo City (Japon) le 1er mai 1993 ; ainsi que leur victoire à Chelan (USA) le 15 juillet 1994.

Aujourd’hui, Marcel Lachat ne vole plus, ne forme plus d’adeptes. Pendant 20 ans il en a formé des centaines, probablement plus de mille. Mais sa fille a épousé le patron d’une école de pilotage et son fils aîné a suivi la même carrière aérienne et repris la tête de l’école Lachat pour la formation au parapente et au Delta. Marcel n’a aucun regret. Toute cette liberté en 3 dimensions, cette capacité à se débrouiller pour voler sans infrastructure lourde, cette vie au grand air, l’ont satisfait ainsi que cette carrière pleine de créativité. Que nous réserve-t-il encore pour demain, un retour à l’architecture ?

Tiré du site : http://www.pionnair-ge.com